Clés de lecture

Une quête du sens

"La puissance de l'écriture est subordonnée à la perfection de la lecture..."


Degrés de signification

Pour les kabbalistes, il existe toujours un sens sous le sens. Chaque interprétation différente d'un texte correspond à un sursaut de conscience vers plus de compréhension, jusqu'à atteindre le Sens, union avec l'esprit même de celui qui traça les mots. Dans ce processus de connaissance, la forme peut revêtir une importance cruciale. Il est même possible d'imaginer un ouvrage dont seules les variations de l'épaisseur de l'encre sur les pages fourniraient un message. Ces considérations visent un but commun : relativiser sa perception du réel, multiplier les regards pour espérer mieux voir.

 

La tradition orale décrit 4 méthodes d'interprétation de la Torah, regroupées sous le nom de Pardès ("Paradis" de la connaissance) :

- Peshat : interprétation simple des Ecritures (sorte de lecture au premier degré)

- Remez : allusion, recherche du sens caché dans le texte (typographie, polysémie d'un mot, ...)

- Derash : vue globale regroupant toutes les interprétations possibles (quête d'exhaustivité)

- Sod : le "Mystère", l'accès au sens lui-même, l'essence de la Kabbale.

 

Ainsi tel kabbaliste fournira 10 interprétations possibles du premier chapitre de la Genèse, tel autre 70, etc. Ce principe s'applique également à un mot isolé tel YHVH (Yod, Hé, Vav, Hé), le tétragramme divin, dont les 4 lettres ont donné lieu à des centaines d'interprétations.

 

La Bible décryptée

Vaste programme que d'espérer décrypter la Bible. Un but plus modeste, sans doute, pour un occidental, est de se détacher de la lecture classique (catéchumène) de l'ouvrage. Tous les gens baignés dans la culture judéo-chrétienne ont un avis sur la question mais combien ont lu un chapitre entier de la bible, combien ont considéré les parchemins qui l'ont façonnée, combien ont cherché un autre sens plus nuancé (et plus documenté) que "la vérité indiscutable" pour les radicaux d'un bord et "un assemblage de superstitions pour gens naïfs" pour les radicaux de l'autre ?

 

En regardant certains parchemins (de la Genèse, des Nombres, ...), on remarque des particularités typographiques : telle lettre est plus petite que les autres, tel caractère est écrit à l'envers, etc. Des mots s'emploient dans un contexte étonnant, d'autres n'ont pas de traduction précise connue. Des phrases se répètent, l'usage de la gématrie fait apparaître des jeux de mots saisissants. Toutes ses "anomalies" sont autant de pistes étudiées par les kabbalistes.

 

Quelques clés

Il est intéressant de considérer les personnages et les lieux de la bible comme des états psychologiques. Leur évolution décrivant alors les phases particulières du développement spirituel de l'homme. Dans cette optique, être juif n'est plus un caractère racial mais l'état de celui qui cherche l'union ("ihud"). Israël devient l'âme incarnée, la conscience humaine et le témoin de son évolution. Pharaon représente le principe de l'égoïsme qui "enchaîne" l'homme, l'Egypte devenant la zone d'influence de cet égoïsme. Moïse incarne alors l'élan qui aspire à la connaissance, il va tenter de conduire le peuple (l'âme) vers la terre promise (une conscience plus vaste compensant l'insatisfaction de l'état précédent). Les errances, la soif, la longue marche de Moïse sont les reflets de cette quête d'absolu.

 

Une autre clé possible de lecture de la Bible est de considérer l'apparition de deux personnages (amis, jumeaux, ...) comme deux états de conscience au sein du même individu. Ainsi Adam et Avah sont deux polarités, l'illusion de la séparation, l'aspect féminin et masculin dans l'être humain. Caïn et Abel incarnent deux tendances dans l'homme. L'une est liée au monde émotionnel et l'autre au monde intellectuel. L'erreur de Caïn est de tuer "son frère", meurtre représentatif d'une victoire de la raison froide sur le coeur. Pour Jacob et Esaü, un duo similaire, l'histoire se termine mieux : Jacob aide finalement Esaü (triomphe de l'union raison-émotions, animalité maîtrisée au lieu d'être niée).

 

On découvre également dans la Bible des personnages analogues marquant le début et la fin d'un cycle. Joseph le charpentier, mari de Marie, apparaît au début de la vie de Jésus et Joseph d’Arimathie, protecteur de Marie après la mort de Jésus, apparaît à la mort physique de Jésus et accompagne sa naissance spirituelle (résurrection). Judas est le patriarche de la 4ème tribu d’Israël dont descend Jésus (" le lion de la tribu de Judas ") et Judas Iscariote celui qui parachève le destin du plus illustre descendant de la lignée, etc.

 

Certains passages de la Genèse illustrent brillamment la notion de degrés de signification. Ainsi lorsque les hommes décident de construire la tour de Babel, "ils prennent des briques à la place de pierres" (Genèse 11,3). Comment interpréter ce passage ?

(lecture au premier degré)

- ils ont besoin de matériaux moins frustres pour leur édifice.

(lecture contextuelle)

- dans les plateaux mésopotamiens, la pierre est rare. Par contre la terre argileuse offre la possibilité de cuire des briques. Ils les utilisent tout naturellement

(lecture influencée par la Kabbale)

- en hébreu, le mot pierre se dit "eben" (Aleph, Beth, Nun). Il recèle une astuce syntaxique : pierre c'est aussi "fils du père" (Aleph, Beth pour père et Beth Nun pour fils"). La brique s'écrit "lebanah" (Lamed, Beth, Nun, Hé). La brique c'est aussi l'élan ("lamed") du fils (Beth, Nun) isolé du père (disparition de Aleph Beth). Les hommes se coupent d'une quête intérieure pour des préoccupations extérieures. La réalisation d'une tour (Babel) qui va rompre l'unité première (discordes, multiplications des langues, ...), est le symptôme d'une ambition mal orientée : elle tend vers le paraître et l'avoir plutôt que vers la réalisation de l'être.